MICHEL RAGON : Mes rencontres avec Marc Held - 1986 Ma première rencontre avec Marc Held se situe à Bruxelles, aux
alentours de 1960. Il avait chargé sa voiture d'un assemblement de
meubles et de luminaires qu'il présentait à la RTB, je crois. Nous
trouvâmes tellement de choses à nous dire, que nous ne nous
quittâmes pas de la journée, et même de la nuit,
puisqu'
il me prit au retour dans sa voiture, et que, discutant à
n'en plus finir, nous nous retrouvâmes à Paris à l'aube.
Il en est des coups de foudre de l'amitié, comme de ceux de l'amour
: on s'enflamme, puis la vie vous sépare et on va ailleurs. Exit
Marc Held et sa quincaillerie. Jusqu' à ce que, aux alentours de 1967,
nous nous retrouvions par hasard à la Coupole et que le feu
reprenne. Entre-temps, il est devenu architecte d'intérieur et
travaille à l'aménagement des bâtiments spectaculaires de la
nouvelle station de sports d'hiver d'Avoriaz. On promet cette
fois-ci de ne plus se quitter. Je dois l'accompagner à Avoriaz, mais
la rencontre d'une dame me fait changer d'idée. Toutefois,
lorsqu'elle et moi montons notre ménage, nous nous dirigeons tout
naturellement vers l'une des rares boutiques de « formes utiles »
ouvertes alors à Paris, L'Échoppe, rue de Seine. C'est Marc Held, devenu propagandiste du design, qu'il l'a ouverte. Nous devenons ses
clients.
A la quatrième rencontre, Marc Held me montre les étapes de ses
dessins et ses prototypes pour le siège « Culbuto » qui sera édité
par Knoll. Il est devenu une vedette parmi les designers, l'un des
rares qui soit diffusé par une firme américaine.
Je vois ensuite sa carrière se ponctuer de réussites spectaculaires.
Il reçoit l'Oscar de l'Emballage et le prix de l'esthétique
industrielle, aménage les salles d'exposition du musée des arts
décoratifs, dessine une série de meubles en fibre de verre pour la
station balnéaire Port Barcarès, reçoit commande du mobilier pour le
salon du Président de la République à l'Élysée. Mais lorsque nous
nous retrouvons, vers 1980, avec la même exaltation, il est devenu
cette fois-ci architecte et construit une usine à Montpellier pour
IBM, tout en imaginant une merveilleuse promenade architecturale en
aménageant des paquebots de croisière. Il enseigne. Il écrit. Il me
donne à lire les textes que voici. Entre autres. J'y retrouve son
allégresse, son humour, son irrespect, mais aussi sa précision dans
le détail juste. Il me demande cinq lignes pour présenter ces textes
qui sont devenus un livre. J'en fais vingt-cinq. Mais il me semble
que l'enthousiasme, l'admiration et l'amitié que je porte à Marc
Held s'y exprime mal. J'en fais cinquante. Il me les arrache. Le
temps presse. L'éditeur attend. Car, bien sûr, Marc Held m'assaille
entre deux voyages. Il aurait fallu écrire cinquante pages. Tant
pis, on aura compris que Marc Held est un homme comme je les aime.
Ce professeur d'éducation physique, fils d'immigrés, passionné de
photographies, qui rêvait de devenir comédien, est passé avec
entrain et bonheur par tous les méandres de la créativité
architecturale ; bel exemple d'autodidactisme, débouchant sur le
professionnalisme le plus abouti.
Homme de synthèse, comme les grands du Bauhaus et les grands du
modern style, Marc Held ne s'interdit aucune discipline. Curieux de
tout, ce boulimique est à la fois artiste et technicien, marginal
dans une profession bien institutionnalisée, mais d'une fécondité
stupéfiante, qui n'a pas fini de nous étonner. |